Piédestal
Dans une ère de paradoxe où les chaussures peuvent être légères et de brise vêtues ou confortables comme des baskets, la mode n’hésite pas à s’inventer de nouveaux poids lourds, épais, hauts et chargés d’ornements. Portée par cet éternel retour, la chaussure prend plus que jamais ses distances avec le sol.
Toujours plus haut. Les « chopines » étaient d’exquis souliers de velours juchés sur de hauts plateaux de bois pouvant mesurer jusqu’à 50 ou même 70 cm, que portaient les belles Vénitiennes de la Renaissance. Trouvent-elles leur origine dans la Chine ancienne où les pieds avaient une dimension érotique proche du fétichisme ? Si c’est le cas, peut-être ont-elles un lien avec la pratique ancestrale du bandage des pieds qui recroqueville la voûte plantaire jusqu’à obtenir une mesure « parfaite » de 7,5 cm appelée « lotus d’or. » Ainsi mutilé, le pied paraissait être posé sur un talon. De ravissantes petites chaussures de satin en forme de sabot étaient conçues pour ces « pieds d’hirondelles. » Elles ont sans doute inspiré les costumiers du film Le dernier empereur de Bertolucci dans lequel on voit l’impératrice chaussée d’un volumineux talon orné d’un dragon en métal. Par la suite, les chaussures eurent souvent des élans en hauteur, notamment au 17e siècle avec de grands talons recouverts de soie…
Le 20e siècle. Dans les années 30, Roger Vivier – merveilleux inventeur de souliers et de talons insensés – proposait des modèles étonnants, inspirés des chaussures orthopédiques ! Si certains en apprécièrent l’audace, d’autres furent choqués de l’analogie. Mais la formidable Elsa Schiaparelli, toujours à la pointe de l’originalité, en fit une mode. La réponse italienne à ce style fut la création de semelles compensées par Ferragamo.
Pendant la guerre, la pénurie de cuir incita à travailler des matières premières de récupération, moins nobles. En 1941, Heyraud développa la fabrication de semelles de bois. Découpées, puis séchées dans des étuves, elles étaient ensuite laquées de peinture. La même année, Dunand crée une incroyable « sandale », portée par une imposante plate-forme découpant des volutes. Le travail du bois – parfois articulé – et du liège, moins souple, donna naissance à des formes volumineuses mais très originales…
Extrait de l’article Piédestal, Traffic magazine 6
mots. Antigone Schilling
photo. Pascal Gillet
réalisation. Natalie Yuksel – Sophie Demarcq